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Oracles et analyse de l'ornithomancie hittite: parallèles mésopotamiens et méditerranéens

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Février 2023
Dmitriy Simonov (Université d'Etat de Moscou, Russie)
Alexandre Solcà (chercheur indépendant, Lausanne-Moscou, Societas Anatolica)
Adresses email: dmitriy.s.simonov@gmail.com ; aleksandrsolka@yandex.com
Les critères d’ornithomancie dans les textes rituels anatoliens et leurs parallèles
méditerranéens. Survol et analyse des rituels concernés et de leurs implications indoeurasiennes
Partie I: Courte étude sur la nature des oracles anatoliens, en particulier l'ornithomancie
L'ornithomancie dans le monde anatolien et gréco-égéen (survol des textes et de leurs origines
rituelles)
En guise de préambule, nous tenons sincèrement à remercier tout particulièrement le comité
d'organisation du congrès de nous avoir invités à prendre part à cette unique conférence du
1er et deux décembre 2022. Nous tenons aussi à exprimer notre entière et profonde admiration
envers Professeur René Lebrun et toute sa famille qui représentent tous ensemble une belle
tradition d'études anciennes.
Le texte qui suit est, d'une certaine manière, la transcription et la mise au propre des réflexions
de notre collègue Dmitriy Simonov et moi-même sur l'ornithomancie anatolienne et dans un
cadre plus général, une mise en perspective des techniques oraculaires auprès des premières
civilisations eurasiennes ou (proto)-indo-européennes.
Le court exposé que nous allons tenter de faire ici recherche l'originalité, la discussion et nous
sommes certains que le sujet est encore loin d'être épuisé. Ce compte-rendu se veut être aussi
complet que possible dans le format qui nous est imposé tout en insistant sur le fait que la plus
importante partie de nos travaux est en rédaction pour un article de profondeur que nous
espérons publier pour septembre 2023, d'où le sous-titre partie I.
Nos opinions et analyses peuvent se résumer en quatre propositions fondamentales:
1) l'ornithomancie occupe une place toute particulière dans l'histoire universelle, depuis
les temps les plus anciens, et doit s'analyser en parallèle avec la géographie et la
linguistique des proto-cultures en question.
2) les rituels anatoliens oraculaires répondent à des règles précises et préfigurent sur
certains points les rituels gréco-égéens, romains ainsi qu'ombriens que nous
survolerons dans notre étude. Une analyse multilatérale de ces textes en parallèle
provenant de divers horizons culturels offre une perspective plus pertinente sur les
questions diverses que peuvent nous susciter la lecture de ces auspices recueillis
visuellement lors de cérémonies codifiées et plus ou moins claires dans leur
organisation.
3) Une catégorisation des mots et verbes en lien avec les oiseaux et la prédiction des
augures ainsi que des prémonitions
4) Enfin, une lecture des formules en lien avec l'ornithomancie et que nous pouvons
éclairer grâce à d'autres fragments et rituels du monde anatolien et égéen. Le but étant
de souligner l'importance des oiseaux sacrés dans ces cultures.
Nous essaierons ainsi, de manière succincte, d'offrir une vision comparative, alliant à la fois
une lecture attentive des tablettes et la recherche de parallèles linguistiques et d'expliquer
certains termes difficiles à interpréter pour une meilleure remise en contexte des aspects
oraculaires dans les sociétés antiques du Proche-Orient, de la Mer Noire et de la Méditerranée et
ce, en deux études distinctes.
Les rituels d'ornithomancie, dans l'Orient ancien (Mari, Mésopotamie, Syrie, Anatolie) peuvent
être rattachés à trois éléments principaux des croyances anatoliennes, et pour ainsi dire du
monde de l'ancienne Méditerranée.
En effet, lorsque l'on étudie la nature des oracles anatoliens, nous comprenons que ceux-ci font
partie d'une large famille de sciences oraculaires présentes dans de nombreuses religions de
l'Antiquité. Pour rappel, nous citerons en traduction le premier chapitre du «de Divinatione» de
Marcus Tullius Cicero (auquel nous reviendrons à la fin du rapport), où l'importance de la
divination pour tout le monde antique y est très bien décrite1:
Il est remarquable de constater que l'illustre Cicéron, emprunt de fierté gréco-latine, se met à
admirer la prévoyance et perspicacité des peuples bordant les régions de la funeste Ilion.
Serait-ce, à peine voilé, un désir de retour aux sources traditionnelles de la gens Iulia?
Il nous semble aussi pertinent de souligner la vision orientaliste de l'orateur qui, ne l'oublions
pas, connaissait bien lui-même les sciences augurales.
Comme nos lecteurs l'auront certainement compris, le Proche-Orient et la Méditerranée ne
faisaient pas exception. Passons maintenant directement aux principaux termes oraculaires
connus du monde anatolien. En ce qui concerne la pratique religieuse hittite, il existe plusieurs
types de divination:
1. KIN – divination par tirage au sort (sur les puces de divination); MUNUSŠU.GI ( littéralement
‘femme vieille’, en d'autres termes une prêtresse spéciale mais nous ferons remarquer que le
substantif employé est plus ou moins exact car l'âge des prêtresses pouvait varier selon les
circonstances.)
2. MUŠEN – divination sur le vol des oiseaux (l’ornithomancie ou l’auspice); celle-ci est
généralement effectuée par LÚMUŠEN.DÙ / LÚ IGI.MUŠEN (le premier se traduit par ‘l’augure’
ou ‘l’oiseleur’, le second - aussi ‘l’augure’); cette divination présente une sous-catégorie
particulière, différente de la variante principale (celle dénommée MUŠEN HURRI), y compris en
ce qu'elle est généralement réalisée par LÚ ALAL ( que l'on peut traduire littéralement comme
‘le voyant’)
3. SU – divination portant sur l'intérieur des animaux (selon les cas, une divination sur ‘ la chair’
ou haruspicine); celle-ci était généralement réalisée par LÚ ALAL (‘le voyant’); cette divination a
1
‘Chez ces mêmes Assyriens, les Chaldéens, ainsi nommés en raison de leur origine et non de leur
compétence spéciale, sont, à ce qu'on pense, parvenus par une longue étude des corps célestes à constituer
une science permettant de prédire aux nouveau-nés leur avenir et leur destin. Les Égyptiens aussi ont
poursuivi, croit-on, patiemment cette étude pendant des siècles presque innombrables. Chez les Ciliciens, les
Pisidiens et leurs voisins de Pamphylie (j'ai eu mission de gouverner ces peuples), c'est le vol des oiseaux et
leurs cris qu'on juge être les signes révélateurs les plus sûrs de l'avenir. Est-il une colonie que les Grecs aient
envoyée en Éolie, en Ionie, en Asie, en Sicile, en Italie, sans avoir consulté l'oracle de la Pythie, celui de
Dodone ou celui d'Ammon? Ont-ils jamais commencé une guerre sans prendre conseil des dieux?’
Marcus Tullius Cicero, De Divinatione, Liber I, 1
une sous-catégorie particulière dite ‘šašta-’, qui est également réalisée par le voyant.
4. MUŠ – divination en relation avec le déplacement d'un serpent ou d'une anguille dans l'eau et
aussi de pierres (lécanomancie)
5. Ù-TUM – l'interprétation des rêves (oniromancie); (‘la voyante’; littéralement – ‘la maîtresse’)
Il est important de noter qu'il serait judicieux de comparer entre elles chacune des formulations
rituelles présentées dans ces processus divinatoires afin de pouvoir directement observer les
facteurs corrélatifs et aussi les formules rituelles parallèles. Nous y consacrerons plus tard une
étude particulière.
Dans le même temps, les deux premières catégories se recoupent à bien des égards: d'une part,
le foie était 'pars pro toto' de l'animal, et les parties divinatoires pouvaient désigner des
personnes vivantes et étaient dotées de la capacité d'interagir entre elles – et d'autre part, les
mouvements d'un serpent ou d'un oiseau pourraient indiquer des objets inanimés, des
concepts abstraits, des lieux, etc.
De cette classification générale, nous pouvons conclure que les oracles étaient en général de
trois types: certains exigeaient l'interprétation des mouvements de l'animal (MUŠEN, MUŠ),
d'autres étaient associés à l'étude attentive des objets divinatoires inanimés (KIN, SU), d'autres
encore étaient réinterprétés à la lumière des informations visuelles et auditives reçues
directement du monde des dieux.
En procédant à la divination, les Hittites avaient pour but de savoir ce qui attend une personne
ou un groupe particulier de personnes (par exemple, des troupes) dans le futur. Par exemple, il
était souvent important de comprendre si la vie de quelqu'un était en danger ou dans une
situation délicate.
Sur la base du résultat obtenu au cours du processus de la divination, d'autres actions étaient
alors planifiées: des rituels étaient alors organisés pour expulser la maladie, des itinéraires sûrs
construits pour les randonnées, des lieux d'hivernage du couple royal établis en corrélation avec
la situation.
En raison de ces réactions aux résultats défavorables de la divination, il est possible de diviser les
oracles hittites (au moins les textes ornithomantiques abordés dans notre rapport) en deux
catégories principales: celles liées à la santé et celles liées à la construction de routes. Nous
n'excluons pas d'autres thématiques qui seront abordées dans un autre volet d'études.
En passant et à titre d'exemple à approfondir, en ce qui concerne la question de la santé, il est
impossible de ne pas citer KUB 22.61: grâce à elle, nous pouvons comprendre que la médecine
anatolienne et la divination étaient inextricablement liées:
1)kuiš=mu LÚ A.ZU SIxSÀ-ri
2)nu=kan Ù ANA D UTU=ŠI ŠÀ IGI.HÁ apāt pari-tti2
Dans la deuxième partie de notre étude, nous reviendrons plus en détail sur
l'utilisation des termes oraculaires et médicaux dans un contexte de guérison.
Il resterait encore beaucoup à présenter sur les relations entre la guérison du patient par le
2
Traduction française proposée: ‘Quel médecin est déterminé par oracle pour moi (2)
appliquera cette herbe (et aucune autre) aux yeux de Sa Majesté’; cf. Goedegebuure 2013
biais de techniques de vision que l'on peut observer notamment dans la technique médicale
utilisée dans les sanctuaires d'Asclépios et les signes divins interprétés à travers les rêves ou
oracles recueillis par les membres d'un collège religieux. Étant donné qu'il n'est pas possible
d'examiner en détail l'ensemble de toutes les sources sur l'ornithomancie hittite dans le cadre de
la conférence et que le temps nécessaire à la préparation de ce rapport était limité, nous avons
choisi en particulier les textes suivants à titre d'illustration: HKM 47, KuT 49 et KuT 50.
Nous regarderons aussi aussi quelques autres textes (par exemple, sur Hattusa ou MašatHöyuk) à titre de sources supplémentaires. Pourquoi ces textes ont-ils été choisis? Tout d'abord,
nous avons essayé de donner un aperçu des quatre archives hittites principales, car les
traditions d'ornithomancie dans les régions respectives pouvaient différer, mais il y avait aussi
des éléments communs à toutes ces traditions divinatoires locales. Deuxièmement, en ce qui
concerne Sarissa, deux exemples sont donnés, ce qui permet de comparer différents textes
provenant du même endroit.
Dans le même temps, afin de ne pas présenter l'ornithomancie hittite en termes trop
généraux,des textes presque synchrones ont été choisis: ils sont tous supposés dater de la
période moyenne (environ 1400-1350 avant notre ère), lorsque la divination des oiseaux,
apparemment, a été mise en avant presque plus que durant les autres périodes de l'existence de
la culture hittite. Dans le cadre de l'étude de ces textes, nous nous sommes appuyés sur les
translittérations et les traductions faites par Gernot Wilhelm et Harry A. Hoffner Jr. cependant,
nous avons aussi vérifié nous-mêmes les autographes de textes pour former notre propre
opinion sur les aspects de philologie et lexicologie hittite.
Il est important de mentionner les données de base nous informant où les textes que nous avons
étudiés ont été trouvés. Si nous parlons des sources de Sarissa – KuT 49 et KuT 50, ils ont été
trouvés ainsi que d'autres plaques dans l'actuelle Kushakly dans le dit ‘bâtiment A’ (par MüllerKarpe et Wilhelm). Il est important de noter que des enregistrements de divination-KIN ont
également été trouvés dans cette cité, et dans l'un de nos textes, ce type de prédiction apparaît
en connexion avec l'ornithomancie. Le texte de HKM 47 vient de l'ancienne Tapikka (moderne
Mašat-Höyük), proche de l'emplacement ‘G/5 Portico’.
Il est pertinent de tenter de comprendre par quelle logique le texte du protocole oracle est
composé en général. Sur l'exemple de ces six textes différents, nous avons essayé de mettre en
évidence la structure approximative du protocole d'un oracle, une sorte de formulaire universel:
1) Le destinataire, l'expéditeur (ou les expéditeurs), les souhaits traditionnels (ce
paragraphe est visible dans n'importe quelle lettre administrative hittite)
2) Une description des divinités précédentes et de leurs résultats
3) Une caractéristique de l'objet de la divination (une situation particulière qui nécessite la
connaissance de l'avenir), en d'autres termes – la désignation de la commission donnée
aux prêtres-interprètes de la divination (nécessairement mentionnée dans les protocoles
de divination)
4) Une description détaillée du processus de divination lui-même avec des verdicts
préliminaires et l'annonce d'un résultat plus ou moins définitif (ce qui, cependant, n'est
pas irréversible, nous en reparlerons dans le cadre du ‘Rituel Huwarlu’)
5) Informations supplémentaires non liées à la divination (optionnel)
Ce qui reste inchangé, c'est une description détaillée de la divination consignant l'ensemble des
questions et des ‘réponses’ en lien avec l'objet oraculaire. La question se pose: pourquoi était-il
si important de décrire le processus lui-même si la lettre n'était pas destinée formellement au
prêtre, mais au roi ou à un haut fonctionnaire du roi? Était-ce un suivi aveugle d'un algorithme
rituel qui ne pouvait être aucunément enfreint? Ou avait-il encore une réelle signification
pratique? Si la seconde hypothèse est correcte, il est logique de construire un tel schéma: les
augures ‘sur le terrain’ enregistrent les informations directement après (ou pendant) la
divination, puis envoient une lettre officiellement adressée aux autorités hittites, mais qui doit
d'abord être vérifiée et systématisée par le prêtre du ‘cabinet augural’, qui a à sa disposition des
échantillons ou des instructions entre ses mains.
Malgré l'habitude de la mémorisation orale de l'information qui était habituelle pour les gens du
monde Antique en raison de la longue période orale de développement de la tradition épique
utilisant plus de signes d'écriture et d'autres facteurs, le prédicteur ne pouvait guère garder
dans sa tête une telle quantité d'informations sur les auspices suffisamment précise pour
réaliser fidèlement une analyse adéquate.
La question de savoir si les oiseaux étaient capturés à l'avance et maintenus en captivité avant
de faire la divination est importante. En faveur de cette interprétation, la commission énumérée
dans HKM 48 (que nous signalons ici comme source auxiliaire) pour attraper des oiseaux pour
la divination, la mention des ornithologues dans les protocoles oraculaires, etc.
Maintenant, nous allons procéder à une courte analyse parallèle des textes sur les points
suivants:
1) Qui? On s'adresse alors aux participants directs et indirects au processus divinatoire.
2) Pourquoi? Il s'agit de déterminer quels sont les buts de la divination ornithomantique et ce
que les personnes en quête de clarté veulent savoir de la part des dieux.
3) Comment? On peut observer la formation d'un certain algorithme de la divination et un
système de coordonnées divinatoires
4) Combien? Malheureusement, il existe que peu d'informations à ce sujet.
5) Qu'en est-il de la fin du processus oraculaire? Pouvons-nous savoir quels sont les résultats de
la divination et dans quelle mesure ceux-ci sont-ils considérés comme définitifs et à quoi
devraient-ils aboutir?
Découvrons maintenant combien et quels participants (directs et indirects) du processus
divinatoire sont mentionnés dans les textes. Dans HKM 47, le roi hittite est le destinataire, dans
KuT 49 – le principal employé du palais, dans KuT 50 – un certain ‘seigneur’. Malgré la diversité,
il est clair que le destinataire officiel du protocole divinatoire était souvent un haut
fonctionnaire. Les expéditeurs, apparemment, étaient des prêtres. Il pourrait y avoir différents
intermédiaires officiels, comme le maire de KuT 49 ou les employés du palais de Hattusili et
Handapi à KuT 50. Nous voyons que la chaîne de diffusion des tâches divines et des rapports
devait ressembler à ceci: un haut fonctionnaire (ou roi/reine, comme il est clairement précisé
dans d'autres textes) – des fonctionnaires de rang plus ou moins inférieur– les interprètes
sacrés. Disons que dans l'exemple de KuT 49, nous voyons comment cela fonctionne ‘de bas en
haut’ (des interprètes aux autorités), alors que dans KuT 50, nous voyons essentiellement
comment cela fonctionne ‘de haut en bas’ (des autorités aux interprètes).
Il nous semble primordial de rappeler que ces processus oraculaires sont en quelque sorte une
représentation théâtrale. D'abord, les Hittites semblaient attacher une croyance immense à la
destinée (fatum) et chaque signe divin semblait les orienter dans leurs décisions.
Les souverains, autres importants dignitaires ou représentant(e)s du pouvoir central avaient la
liberté de réinterroger les oracles au cas où la réponse ne semblait pas leur convenir.
Cela engendrait une série de correspondances avec les différents prêtres et prêtresses chargés
de l'observation oraculaire et cette série de dialogues pouvait se prolonger pendant un certain
nombre de semaines. La pièce de théâtre réside dans le fait que très certainement, les deux
parties cherchaient une explication rationnelle à des phénomènes plus ou moins concrets mais
les prêtres et prêtresses savaient employer les bonnes formulations et les bons rituels pour
s'accommoder des situations les plus délicates.
Il faut également penser que la foi en ces rituels était très forte car ancrée depuis des temps
extrêmement anciens et sans aucun doute, chaque participant aux diverses étapes de ces
cérémonies se sentait doué de dons utiles à son environnement. Adorant les oiseaux, ceux-ci
sont doués d'une grande intelligence et il nous semble positif de penser que l'ornithomancie
était aussi une manière d'acquérir un peu de leur clairvoyance et acuité dans les affaires
célestes mais aussi dans la conduite personnelle de l'existence.
Maintenant, revenons à nos textes de consultation oraculaire.
KuT 49 parle de la peur ressentie au sujet du fils d'une prêtresse (peut-être sa santé) et dans
KuT 50, il s'agit d'un rêve potentiellement prophétique de la reine hittite, dans lequel les filles
(apparemment ses filles) ont été battues. Dans HKM 47, il est explicitement écrit que le roi
prépare une campagne militaire et veut, par l'intermédiaire des auspices, savoir s'il y réussira.
Il semble commode et correct de distinguer deux catégories de divination: préventive et
protectrice. Ce schéma peut être appelé le schéma des deux ‘P’ (‘preventive’ VS ‘protective’). Une
variante intermédiaire particulière est la divination face à un rêve prophétique ou à un autre
signe: l'événement n'a pas encore eu lieu, ils essaient donc d'y remédier– mais l'élément
précurseur de l'événement s'est déjà fait connaître.
Une précision en ce qui concerne l'algorithme de divination. Nous parlons d'algorithme parce
que nous pensons que la divination hittite est très stricte, quasiment structurée
mathématiquement, et en considérant le cours de la divination, nous imaginons un arbre de
décision comme en informatique. Les résultats dans cet algorithme peuvent être, en fait,
doubles: la divination est favorable (il n'y a pas de menace) – ou la divination est défavorable (il
y a une menace). Il y a peut-être des cas controversés que les prêtres n'ont pas tout à fait réussi
à interpréter. Mais les options pour arriver à l'un de ces résultats étaient très différentes. Cela
dépendait à la fois de la forme spécifique de la demande sur telle ou telle question et des éléments
de la réponse divine.
Ceci nous semble essentiel de souligner que, lors de listes oraculaires ornithomantiques, nous
ne voyons quasiment aucune mention de divinité spécifique comme si la procédure
d'observation augurale n'était liée qu'à la nature seule des oiseaux observés en vol.
L'indicateur principal utilisé dans toutes les consultations hittites sur les oiseaux est la direction
du vol des oiseaux dans le cadre d'une «grille de coordonnées célestes» spéciale. Nous voudrions
préciser que dans les protocoles ornithomantiques hittites, il n'y a presque pas de preuves
suffisantes pour identifier des techniques fondamentalement différentes de divination sur les
oiseaux ou similaires, par exemple, à la divination précoce sur les voix des oiseaux, que
mentionne Cicéron dans l'œuvre ‘de Divinatione’.
Cependant, à propos de la première, il y a une utilisation intéressante du participe ‘halziyant-’ –
‘criant’ – appliqué à l'oiseau ‘šūraššūra’. Mais en règle générale, cette forme est toujours
interprétée comme une forme médiopassive. Le noyau du protocole divinatoire consistait en
des blocs syntaxiques répétés en plusieurs parties: 1) le nom de l'oiseau (en nominatif) + 2) la
direction et/ou la zone de vol + 3) le verbe (ils n'ont généralement pas de traduction identifiée
de manière univoque par les chercheurs).
Le point important dans la réponse à la question ‘comment?’ porte sur le système de la «grille de
coordonnées». Encore une fois, une analogie mathématique très réussie peut nous éclairer:
après tout, le ciel au moment de la divination dans l'esprit du prêtre est vraiment divisé en deux
rectangles, chacun d'eux, à son tour, divisé en quarts. Entre ces deux zones, sur l'axe
conventionnel ‘x’ se trouve le dit ‘chemin’ (ou ‘route’). Quoi qu'il en soit, le chercheur japonais
Yasuhiko Sakuma nous donne une telle image sur la base de nombreux textes divinatoires dans
sa thèse. Le chercheur allemand Volkert Haas, dans un travail antérieur, a présenté un schéma
légèrement différent – mais il convient également à la définition du ‘maillage de coordonnées’. Et
ce ne sont pas seulement des constructions scientifiques: ce genre d'images nous est p arvenu
sur des tablettes d'argile.
Sur la base des textes étudiés et quelques textes supplémentaires, nous pouvons distinguer trois
types d'indications sur la direction du vol:
1) la direction du vol lui-même, dans le cadre de l'horizon divinatoire (‘vers le bas arrière /
arrière vers le bas’, ‘vers le bas’, ‘vers le haut vers l'avant’, ‘vers l'avant’, ‘vers l'arrière (prendre le
chemin)’)
2) la direction du vol par rapport aux zones célestes déterminées par les prêtres “tar.” et “gun.”,
en d'autres termes – zone favorable et défavorable (‘dans le bien/au bien’, ‘dans le mal/au mal’,
‘dans la zone “gun.”’, ‘dans la zone “tar.”’); à bien des égards, cette dichotomie correspond à
l'opposition droite-gauche (dexter-sinister)
3) la direction par rapport au dit ‘chemin’, c'est-à-dire (selon l'hypothèse de Sakuma) une
certaine zone intermédiaire entre les carrés de la grille de coordonnées (‘au milieu “du chemin”’,
‘derrière “le chemin”’)
En d'autres termes, l'espace de coordonnées des textes hittites sur les oiseaux est de type
tridimensionnel: ‘haut – bas’, ‘derrière – devant’ (par rapport au chemin), ‘du bien/au mal – du
mal/au bien’; ce dernier correspondant approximativement à la dichotomie ‘droite – gauche’.
Certes, toutes ces caractéristiques ne sont pas couramment utilisées ensemble, ce qui en fait
dans la pratique des protocoles divinatoires généralement orientés sur une ou deux dimensions.
Mais cela n'empêche pas les prêtres de considérer mentalement les trois paramètres
simultanément, en notant parfois d'autres détails situationnels et locaux plus petits. Ces derniers
incluent: la mention que l'oiseau vole ‘de derrière la montagne’ ou ‘de loin’, etc.
Enfin, regardons les résultats de la divination. Dans KuT 49 et HKM 47, il n'y a pas de formule
résumante ‘SI×SÁ’: ‘ceci est confirmé/déterminé (par divination)’.
Harry Hoffner, Jr., dans sa publication «Letters from Hittites Kingdom», estime que l'absence
d'indication explicite d'un résultat positif signifie un résultat négatif. Nous sommes d'un avis
différent.
En ce qui concerne KuT 50, comme déjà mentionné ci-dessus, la divination était apparemment
si infructueuse qu'il a fallu faire appel au ‘Rituel Huvarlu’.
En conclusion, nous pouvons présenter sous la forme de questions et de réponses les premiers
résultats de nos études sur les rituels ornithomantiques.
1) Qui? En ce qui concerne les protocoles oraculaires d'ornithomancie dans le monde hittite,
nous pouvons observer qu'il s'y exerce un principe de transmission hiérarchique.
Un membre hautement placé de l'administration hattusienne ou un membre de la famille royale- un
membre d'une instance plus basse (e.g. un représentant des autorités locales)
2) Pourquoi? On peut présenter les consultations oraculaires comme une nécessité de pouvoir
préciser les circonstances d'une maladie, d'un rêve ou d'un projet important et de se
garantir les bons auspices des divinités.
3) Comment? Les augures observent certains oiseaux choisis au préalable et notent
scrupuleusement leur orientation et leurs trajectoires. Leur comportement aidera les
prêtres à effectuer une interprétation fidèle à la réalité.
4) Combien? Il est difficile de se prononcer sur cette question de manière unanime mais il
est certain que les auspices étaient consultés à plusieurs reprises et avec divers oiseaux
en fonction des temps de l'année et des spécificités du lieu oraculaire choisi.
5) Qu'en est-il de la fin du processus oraculaire? Pouvons-nous savoir quels sont les
résultats de la divination et dans quelle mesure ceux-ci sont-ils considérés comme
définitifs et à quoi devraient-ils aboutir?
Par ailleurs, il serait extrêmement intéressant de voir exactement comment ces divers points se
combinent: i.e. la diversité des oiseaux et leurs mouvements dans la «grille de coordonnées»), et
notamment, de pouvoir savoir quelle est la position exacte des oiseaux conduisant à un résultat
spécifique.
Voici deux exemples comparatifs:
32) namma hūranni-š TAR-utapašši-š gun.-un
33) zilawan SIG5-az nu āršintara-š
34) zilawan kuit ú-it kuitman=ma=an ušga-wen
35) [???]x-šān=ma TAR-wan au-men
Courte traduction proposée:
‘Ensuite, l'aigle vole dans le mauvais sens, <un mot inconnu – peut-être le nom de l'oiseau> est
favorable. Suivant (ou ‘De cette façon’) au bien. Puis “aršintara –” suivant (ou ‘De cette façon’) qui
est arrivé pendant que nous l'observons constamment’ (HKM 47).
Un autre exemple qui nous montre l'algorithme de revérification des réponses divines:
17) nu=kan Á.MUŠEN peran tūwa aššuw-az pai-t
18) n=an=za ŪL hā-wen nu damain Á.MUŠEN
19) gun.an au-men
Courte traduction proposée:
‘Un aigle est parti de loin du bien. Nous ne lui faisions pas confiance. Nous avons observé un autre
aigle (volant) dans la bonne (direction); <…>’ (KuT 50).
Nous aurions encore tant à dire à ce sujet mais nous préférons nous arrêter précisément à cet endroit
car le sujet de l'étude plus en profondeur commence précisément sur le thème des oiseaux observés
en vol et quels sont les mécanismes en lien avec leur nature profonde. Merci encore de votre
attention et nous sommes à votre disposition pour toute question ou remarque.
Alexandre Solcà, Dmitriy Simonov
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